D'ici 2035, il manquera 460’000 équivalents plein-temps sur le marché du travail suisse pour compenser les départs à la retraite des baby-boomers et maintenir le niveau de vie des dernières décennies, selon les projections d’économie suisse[i]. Le secteur de la santé est particulièrement impacté par ce phénomène inédit, et les conséquences de la pénurie qui s'aggrave sont d'autant plus prononcées qu'elle s'accompagne d'une forte croissance de la demande de soins, stimulée par le vieillissement de la population et la hausse des maladies chroniques. Cette « double peine » intensifie la pression sur le système de santé, ce qui compromet l’accès aux services, fragilise la continuité des soins et affecte la motivation des soignants.
La « première ligne de soins », composée principalement des médecins de premiers recours, est l’un des secteurs les plus durement touchés. Elle joue pourtant un rôle essentiel en améliorant l’accessibilité aux services tout en assurant une continuité des soins. Sa place au centre du système se traduit par de meilleurs résultats en matière de santé de la population et par une réduction des hospitalisations. [ii] À l’inverse, négliger son rôle affaiblit l’ensemble du système, compromettant tant la qualité que l’équité des soins pour toutes et tous.
Or, force est de constater que la médecine générale peine à attirer les jeunes médecins, révélant un manque préoccupant d’attractivité pour cette profession. Les initiatives cantonales récentes visant à promouvoir la médecine générale auprès des étudiants, tant au niveau prégradué que postgradué, [iii] sont à saluer. Toutefois, ces mesures resteront insuffisantes pour garantir un nombre de médecins suffisant à même de répondre aux besoins de la population.
Dans ce contexte, s’appuyer sur la relève pour garantir dans le futur une première ligne de soins efficace est manifestement irresponsable. Il est plus que nécessaire d’explorer des alternatives pour maintenir un système de santé accessible et équitable.
Dans cette perspective, plusieurs initiatives méritent d’être mises en avant et soutenues. Les maisons de santé, par exemple, peuvent jouer un rôle essentiel en mutualisant les ressources et en favorisant la collaboration interprofessionnelle. Elles transforment les soins primaires en améliorant à la fois l’accès aux services et les conditions de travail. L’engagement du canton de Genève dans ce domaine est particulièrement remarquable. La création de nouveaux métiers, tels que les infirmières en pratique avancée (IPA) ou les coordinatrices en médecine ambulatoire (CMA), constitue également une aide précieuse dans la prise en charge des patients.[iiii] À cet égard, le canton de Vaud se distingue comme un précurseur, en termes de formation et de base légale. Les technologies numériques, qu'il s'agisse de la télésanté ou des outils connectés, ouvrent des perspectives intéressantes. Bien qu'elles nécessitent encore une évaluation approfondie, elles pourraient contribuer, en partie, à compenser le manque de ressources humaines. Enfin, les patients eux-mêmes peuvent devenir des acteurs majeurs de leur santé. Grâce à l’éducation thérapeutique, aux applications dédiées aux maladies chroniques et à une meilleure prévention, il est possible de diminuer la pression sur les médecins généralistes. Le modèle Optimed-Delta Santé s’inscrit pleinement dans cette logique de transformation et d’innovation.
Bien que la Suisse soit encore régulièrement saluée pour la qualité de son système de santé, les effets de la pénurie se font bel et bien sentir et doivent nous alerter. Mais chaque crise est également porteuse d’opportunités. Pour assurer l'accessibilité et la qualité des soins pour toutes et tous, il est essentiel de repenser notre organisation en s'appuyant sur des initiatives locales et innovantes. Il appartient aux acteurs de terrain de prendre en charge cette responsabilité et de piloter leur organisation, qui doit être soutenue, accompagnée et renforcée par des conditions-cadres définies au niveau cantonal et fédéral.