Invité

Interview de Laurent Kurth

Delta Echos #3

Interview de Laurent Kurth Interview de Laurent Kurth

Entretien avec Laurent Kurth, ancien conseiller d’État en charge du département des finances et de la santé du canton de Neuchâtel.

Selon vous, en quoi l’élaboration d’une loi fédérale sur la santé est essentielle ?

Notre système fédéraliste prévoit que les compétences qui ne sont pas explicitement déléguées à la Confédération restent aux cantons. La Confédération est en revanche explicitement compétente pour les assurances sociales. Il en découle que le Parlement fédéral a une abondante activité dans le domaine de l’assurance-maladie, par laquelle il restreint considérablement les capacités d’actions des cantons, sans jamais pouvoir déléguer des tâches d’exécution au Conseil fédéral. La Suisse ne connaît donc plus de gouvernement de la santé. En outre, régler les questions de santé via l’assurance-maladie revient à ne prévoir que la fourniture des soins, en négligeant toutes les autres dimensions de la politique de la santé. Enfin, la logique de financement à l’acte conduit à un morcellement des prestations aux patients. Une loi de santé permettrait ainsi de définir plus clairement les autorités compétentes pour chaque domaine de ce secteur, de leur donner une plus grande légitimité, d’appréhender la question de la santé de façon globale plutôt que par le seul volet des soins et de valoriser davantage la coordination des acteurs. L’élaboration d’une loi donnerait aussi lieu à un débat démocratique qui fait défaut aujourd’hui pour définir les priorités dans l’affectation des ressources. Enfin, elle clarifierait la question des sources de financement pour les différentes prestations, ce qui s’avérera essentiel avec l’accélération du vieillissement de la population.

Quels sont les obstacles qui pourraient être rencontrés ?

La plupart des acteurs sont aujourd’hui mus par des objectifs économiques : les assurances ont pris une place démesurée et les fournisseurs de soins – privés comme publics – doivent équilibrer leurs comptes grâce à la facturation de leurs prestations. Il en découle que ce sont les objectifs de rentabilité qui l’emportent souvent sur les objectifs de santé publique ou sur l’intérêt du patient. Au demeurant, l’assurance-maladie ne connaît pas de limite budgétaire, c’est-à-dire que chaque prestation fournie, utile ou non, est remboursée par l’assurance. Redéfinir des priorités dans l’affectation des ressources via un processus démocratique et législatif implique forcément de limiter ces incitations purement économiques. Certains craindront de voir leur influence ou leurs profits se réduire et résisteront naturellement à une telle évolution. En outre, les défenseurs les plus intransigeants du fédéralisme verront un risque d’affaiblissement des cantons, oubliant que ceux-ci sont déjà très limités par la LAMal.

À part une loi, que devrait faire la Confédération pour améliorer la gouvernance du système de santé ?

La définition d’objectifs généraux de santé publique devrait influencer l’ensemble des politiques publiques et pas uniquement la stricte et seule politique de la santé.

Que l’on parle des conditions de notre environnement naturel, de celles du logement ou de l’environnement bâti, des transports, de l’organisation de la vie familiale, de la façon dont on prévient la violence ou les discriminations, toutes ces questions relèvent d’une politique de santé publique au sens large. C’est d’ailleurs dans cette perspective que j’ai eu l’occasion de proposer la constitution d’un secrétariat d’État à la santé. Une autre amélioration significative tiendrait aux compétences et aux ressources accordées aux organisations de patients qui, contrairement aux associations de consommateurs, ne bénéficient ni d’une reconnaissance, ni de ressources financières suffisantes dans notre pays. Enfin, face au vieillissement de la population, la Confédération ne peut pas rester spectatrice en se disant que les assurés (via l’augmentation des primes) et les cantons (via leurs ressources ordinaires) feront simplement face. Il est en effet urgent qu’un véritable débat de politique financière s’engage pour déterminer comment la Suisse entend assurer le financement des prestations de soins à une population qui aura doublé d’ici 15 ans. À défaut, cela revient à dire qu’on accepte implicitement que les prestations se réduiront en moyenne de moitié pour chaque individu et en l’occurrence, selon des principes indéfendables, à savoir par exemple celui du « premier arrivé, premier servi » ou celui du privilège aux plus nantis.

Que peuvent apporter les réseaux de santé ?

Ils peuvent considérablement améliorer la coordination des soins et des interventions des différents prestataires. Avec de nouvelles règles de financement, ils pourraient sûrement aussi contribuer à une plus grande incitation aux prestations de promotion de la santé et de prévention des maladies. Mais dans l’architecture actuelle de notre système de soins, il ne faut pas attendre de miracles de ces réseaux, qui restent limités par tous les défauts de notre système.