Dossier

Repenser le système de gouvernance de la santé en Suisse

Delta Echos #3

Repenser le système de gouvernance de la santé en Suisse Repenser le système de gouvernance de la santé en Suisse

Publié début 2024, un rapport d’Unisanté évalue la performance la gouvernance du système de santé suisse et présente des solutions concrètes pour son amélioration. Les auteurs y soulignent l’importance d'une loi fédérale sur la santé afin de relever les défis auxquels le système est confronté.

Un système fragmenté, des responsabilités peu claires, ainsi qu’une priorisation excessive des soins au détriment de la prévention et de la promotion de la santé : voici le diagnostic sévère que porte Unisanté sur la gouvernance du système de santé suisse.

Mandaté par l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) dans les suites de son projet « Développement durable du système de santé » qui vise à assurer la pérennité du système, Unisanté a analysé méthodiquement la gouvernance du système de santé et a évalué la pertinence d’une loi fédérale sur la santé.

Pour ce faire, l’équipe d’Unisanté, menée par la Professeure Stéfanie Monod, a utilisé plusieurs approches, notamment une revue de la littérature, une analyse juridique, une analyse qualitative de la gouvernance sur la base d’un modèle d’évaluation de la performance des systèmes de santé ainsi que des ateliers et des entretiens avec des experts et des acteurs du système de santé. « Nous avons privilégié une démarche scientifique tout en impliquant les parties prenantes (scientifiques, institutionnelles et politiques) afin de pouvoir inscrire le résultat de ce mandat dans la pratique et la réalité actuelle en Suisse », explique Stéfanie Monod.

Une gouvernance à revoir

Notant de nombreux points forts, notamment un système de soins très performant, une densité importante de l’offre et une bonne résilience par exemple lors de la crise du Covid-19, le rapport met toutefois en évidence d’importantes faiblesses liées à la gouvernance du système. « La gouvernance actuelle est le fruit d’une construction historique, basée sur notre fonctionnement fédéraliste et sur des valeurs fondamentales de la Suisse, comme la liberté individuelle et la liberté économique, indique Chantal Grandchamp, docteure en sciences économiques et co-auteure de l’étude. Cette construction a orienté la gouvernance du système de santé vers la maladie et les soins, négligeant de ce fait la “production de santé”, qui devrait pourtant être une pièce maîtresse d’un système de santé. »

Les auteurs soulignent que la santé va bien au-delà de la simple question de l’accès aux soins de qualité. Des éléments tels que l'environnement, l'alimentation, la cohésion sociale et l'éducation jouent un rôle bien plus déterminant sur notre état de santé. Ces facteurs cruciaux sont néanmoins peu évoqués lorsqu’on débat des enjeux autour du système de santé.

Un autre aspect crucial concerne le pilotage du système de santé : l’étude d’Unisanté fait apparaître que la gouvernance actuelle dilue les responsabilités entre de multiples acteurs qui ont tous des intérêts particuliers. L'absence de clarification et l’enchevêtrement des rôles entre la Confédération et les cantons, compliquent davantage la situation. « Il est essentiel de travailler à améliorer la cohérence entre les différents acteurs pour renforcer la capacité du système à répondre aux besoins identifiés et ainsi optimiser l’utilisation des ressources, qu’elles soient humaines ou financières », ajoute Chantal Grandchamp.

Mais en Suisse, changer le système n’est pas chose facile. Dans certains pays, plusieurs réformes majeures du système de santé ont été adoptées ces 30 dernières années, alors qu’en Suisse, depuis l’entrée en vigueur de la LAMal en 1996, une seule réforme majeure a été introduite en 2012, celle du financement hospitalier. « La légendaire “lenteur” de la Suisse est certes un atout pour sa stabilité mais uniquement lorsque celle-ci découle de la sagesse des consensus et non d’une certaine frilosité politique, déplore Stéfanie Monod. Ces faiblesses font que nous vivons une situation de blocage qui péjore notre capacité à construire un système de santé adapté aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, tels que le vieillissement démographique, la pénurie de professionnels, la maîtrise des coûts ou la durabilité. »

Première étape vers une meilleure gouvernance : une loi fédérale sur la santé

D'après les auteurs, l’élaboration d'une loi fédérale sur la santé prend ainsi tout son sens, sachant que le système de santé suisse est actuellement majoritairement gouverné par une loi sur l’assurance-maladie. « Une telle loi permettrait de donner un cadre de bonne gouvernance englobant à la fois la promotion et la protection de la santé et l’accès à des soins équitables et de qualité. Elle permettrait également de clarifier les rôles des instances étatiques et des parties prenantes et de poser les principes fondamentaux du fonctionnement de notre système de santé, assure Chantal Grandchamp. Nous pourrions ainsi aborder les enjeux à venir de manière plus efficace et d’être mieux armés pour faire évoluer nos politiques de santé en fonction des besoins de la population. » Que les cantons se rassurent : ceux-ci conserveraient leur souveraineté et d’importantes responsabilités et marges de manœuvre pour développer des politiques publiques et organiser leurs dispositifs de soins.

Un tel texte est indispensable selon les experts d’Unisanté, les bases légales actuelles ne permettant pas d’entreprendre des réformes de fond. Pour ancrer une telle base légale, une modification de la Constitution fédérale semble nécessaire. « Sans texte fondateur et contraignant et sans vision commune, nous voyons bien que la situation de blocage va perdurer et même se renforcer au fil du temps », affirme Stéfanie Monod. Une telle modification constitutionnelle permettrait d’ouvrir la voie à un débat démocratique nécessaire à la construction d’une vision commune de la santé, au-delà des intérêts et des positions retranchées des parties prenantes.

Les auteurs espèrent à présent que leurs travaux pourront servir de guide aux diverses parties souhaitant engager un débat public sur le sujet de la santé et permettront de stimuler une discussion politique constructive en vue de l’adoption des réformes fondamentales nécessaires.