Un an après sa prise de fonction, Alessandro Cassini dresse un premier bilan en tant que médecin cantonal genevois. Entre immersion sur le terrain, développement des soins intégrés et réflexion sur les enjeux structurels du système de santé suisse, il revient sur cette année écoulée, sa vision du rôle du médecin cantonal et les défis à venir.
Quel bilan tirez-vous de cette première année de mandat ?
Ce fut une année très dense, sur plusieurs fronts. Le plus important pour moi a été de connaître le réseau, ce qui m’a conduit à multiplier les interventions sur le terrain. Après des années consacrées à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et à l’European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC), où j’étais plus souvent dans la coordination ou les politiques globales, cette proximité quotidienne me manquait. J’ai donc passé beaucoup de temps cette année avec le SMUR, le projet RUE (Réponse urgente engagée) – qui va à la rencontre de personnes souffrant d’addictions et vivant dans la rue – les EMS, l’Unité médicale de la prison de Champ-Dollon, ou encore avec les équipes de réadaptation gériatrique. C’est dans ces moments-là que je comprends vraiment les réalités vécues. La protection des populations les plus vulnérables est ce qui donne du sens à ce travail.
Justement, quelle est votre vision du rôle du médecin cantonal ?
Les responsabilités d’un Service de médecin cantonal sont très variées. Cela recouvre la prévention et la promotion de la santé – grâce notamment au soutien des associations – ainsi que des activités régaliennes comme les autorisations de pratique ou la surveillance des professionnels de la santé. Mais nos missions touchent aussi les inspections, le soutien et l’accompagnement des établissements avec le Gresi (Groupe risque pour l’état de santé et inspectorat), la coordination de l’aide sanitaire urgente et la gestion des épidémies. Nous sommes plus de 50 personnes dans le service. Je souhaite que nous développions une vision commune, en lien avec notre responsabilité de santé publique. Ce rôle, il faut l’incarner de façon multidisciplinaire et en coopération avec les autres services de l’État.
Quels sont aujourd’hui les grands projets de votre service ?
Nous travaillons activement au développement des réseaux de soins intégrés avec le reste de l’Office cantonal de la santé, un projet mené par le Service du numérique et du réseau de soins. L’enjeu est de structurer des parcours de soins coordonnés, centrés sur le patient, avec des dispositifs efficaces qui assurent une véritable continuité des services. Il s’agit d’éviter les ruptures, de clarifier la gouvernance, de limiter les doublons et de renforcer les prises en soins individualisées. C’est l’une de nos priorités majeures, à la fois pour améliorer l’expérience des patients et optimiser les coûts.
Par exemple, la chirurgie ambulatoire – qui coûte moins cher, expose moins aux complications et permet une meilleure récupération –, est encore trop peu développée en Suisse, par rapport à nos voisins. Nous voulons accompagner sa mise en œuvre, avec des outils de contrôle et du soutien aux structures qui veulent se lancer.
Le débat autour du Tardoc (lire dossier) reste vif. Quelle est votre position ?
Ce que ce débat met en lumière, ce sont surtout les limites structurelles de notre système. En Suisse, la santé repose avant tout sur un accord commercial entre assureurs et prestataires. Notre pays est l’un des rares en Europe à n’être doté ni d’un droit constitutionnel sur l’accès fondamental à la santé, ni même d’une loi fédérale sur le système de santé. Cela crée des incitations à la négociation tarifaire autour des soins, plutôt que de susciter une vision intégrée et préventive de la trajectoire de santé et de soins.
Quels sont vos objectifs pour la suite ?
J’aimerais porter une réflexion sur notre vision collective, en plaçant clairement les populations les plus vulnérables au centre de nos missions. Cela inclut les jeunes, en particulier les femmes, qui sont touchés par des problèmes de santé mentale, mais aussi les populations qui renoncent aux soins faute de moyens pour couvrir les primes d’assurance et les quotes parts. À titre d’exemple, nous devons repenser la manière de répondre à certains besoins de santé mentale, sans forcément passer par une psychiatrisation systématique. Par ailleurs, dans une région aussi tertiaire que la nôtre, la santé mentale au travail est un enjeu important. Et enfin, bien que Genève soit le canton le plus jeune de Suisse, le vieillissement de la population reste un grand défi. Le soutien du maintien à domicile ne doit pas se transformer en isolement.
Un message pour les professionnels de santé du canton ?
Je me réjouis de travailler avec eux ! J’inclus tous les professionnels, pas seulement les médecins. Le Service du médecin cantonal est le garant des lois pour tous les métiers de la santé. J’apprécie beaucoup la qualité de nos échanges. Nous partageons, au-delà d’un devoir de prise en charge des patients, une responsabilité de santé publique très précieuse.