Le 1er janvier 2026 marquera une étape décisive pour la médecine ambulatoire suisse avec l’entrée en vigueur simultanée du Tardoc et de nouveaux forfaits. Une refonte attendue de longue date, mais qui soulève autant d’espoirs que d’incertitudes.
Cette double réforme tarifaire est l’aboutissement de plus de vingt ans de négociations et de compromis parfois douloureux. Elle intervient après l’échec de multiples tentatives de révision du Tarmed, en vigueur depuis 2004, et après plusieurs soumissions retoquées du Tardoc au Conseil fédéral entre 2019 et 2023.
En juin 2024, le Conseil fédéral a finalement tranché : les deux structures tarifaires, élaborées séparément (Tardoc par la FMH et curafutura, les forfaits par H+ et santésuisse), devront coexister et être mises en œuvre par l’OTMA, l’organisation faîtière réunissant assureurs, hôpitaux et médecins.
Attentes pour la médecine de premier recours
Héritier du Tarmed, le Tardoc repose encore sur une logique d’actes médicaux mais dans une version modernisée et mieux adaptée aux réalités actuelles de la pratique médicale. L’un de ses objectifs affichés est la revalorisation de la médecine de premier recours. Mais sur le terrain, la confiance est nuancée. « Personne ne sait dans quelle mesure cette valorisation va se présenter, alors que c’était l’un des buts premiers de la réforme », constate le Dr Dorian Schaller, membre du conseil de direction de Réseau Delta.
Si certaines prestations de coordination ou de travail en réseau sont mieux reconnues, les incertitudes restent nombreuses : l’éducation thérapeutique ou le suivi par les coordinatrices et coordinateurs en médecine ambulatoire (CMA), par exemple, ne sont que partiellement financés. « C’est un bon début, mais ce n’est pas encore suffisant pour garantir une réelle gestion des parcours de soins », note le Nicolas Müller, membre du comité de direction Réseau Delta.
Pour les sociétés cantonales, l’enjeu est aussi organisationnel, notamment pour défendre la valeur du point tarifaire (VPT) et soutenir les professionnels et professionnelles dans cette transition. « Les médecins vont devoir apprendre à manier ces nouveaux tarifs, former leurs équipes et adapter leurs logiciels, annonce le Dr Dominique Bünzli, président de la Société neuchâteloise de médecine (SNM). En tant que société cantonale, nous allons les accompagner avec des documents clairs et des formations. »
Les forfaits ambulatoires, un autre volet de cette réforme, constituent l’innovation la plus commentée. Leur logique, censée simplifier la facturation, suscite néanmoins des réserves. « Pour l’instant, ils ne représentent qu’environ 8% du volume total, mais quel sera leur impact, s’ils sont mal construits, notamment sur le flux de patients qui se retourneront vers l’hôpital public ? s’interroge Dominique Bünzli. Quand on prépare des choses dans un bureau et qu’on ne les teste pas sur le terrain, il y a le risque d’être à côté de la plaque. »
Impact sur les patientes et patients et place des IPS
Au-delà des aspects techniques, la philosophie de ces réformes questionne : s’agit-il d’un moyen de mieux planifier les coûts ou d’une logique de rationnement déguisée ? Les répercussions sur les patientes et patients, en particulier ceux souffrant de polymorbidité, restent indéterminées. Les forfaits actuels ne reflètent pas toujours la complexité des parcours de soins, ce qui fait craindre une prise en charge fragmentée. À l’inverse, certaines évolutions sont saluées : le temps alloué au travail de réseau par les médecins de famille sera augmenté et les soins palliatifs bénéficieront d’une reconnaissance élargie, avec un volume d’heures plus important. La réforme relance également le débat sur la place des infirmiers et infirmières spécialisées et en pratique avancée (IPS/IPA). Si elles ne disposent pas encore d’une reconnaissance de prestations spécifiques, les assistantes médicales titulaires d’un brevet fédéral pourront désormais, à l’aide du chapitre « Chronic care management », suivre de manière autonome, sous délégation médicale, des patients et patientes chroniques (en cardiologie, pneumologie, diabétologie, rhumatologie) ; et ce, avec une rémunération forfaitaire annuelle.
Rôle de l’OTMA et neutralité des coûts
Le Tardoc est conçu comme un système évolutif, appelé à être adapté chaque année. « Nous avons ici une occasion de changer ces tarifs pour les adapter à la réalité, explique Rémi Guidon, directeur de l’OTMA. Nous ne voulons plus de la situation que nous avons vécue pendant 20 ans, sans adaptation de la structure tarifaire. Nous sommes déjà à pied d’œuvre pour développer la version de 2027. » Le Conseil fédéral a fixé une échéance claire : d’ici fin 2028, les nouvelles structures tarifaires devront avoir démontré leur pertinence. La neutralité des coûts en est le principe central et l’augmentation des coûts liés au nouveau système sont plafonnées à 4% par an, en plus d’un mécanisme de neutralité dynamique. Si ces limites sont dépassées, des mesures correctives devront être appliquées
L’organisation tarifaire se veut ainsi une institution de confiance et de coordination. Pour ce faire, elle a mis en place des processus par le biais desquels les différents partenaires peuvent proposer des modifications concernant le Tardoc et les forfaits. Celles-ci sont évaluées et, lorsqu’elles s’avèrent pertinentes, sont intégrées dans le système. Un travail collaboratif visant à mieux refléter la réalité du terrain. « Les adaptations pour affiner et perfectionner ce système prendront du temps, mais elles s’appuieront sur l’écoute et la concertation de toutes les parties prenantes », insiste Rémi Guidon.
Un horizon encore incertain
À l’aube de son entrée en vigueur, le Tardoc concentre donc autant d’espoirs que de doutes. Les médecins attendent une revalorisation tangible de la médecine de premier recours et une meilleure reconnaissance du travail de coordination. Mais les forfaits, mal compris et peu testés, provoquent des inquiétudes sur leur impact concret. Comme souvent dans l’histoire tarifaire suisse, c’est l’expérience du terrain qui donnera la mesure de la réforme. « Comme toujours, nous allons nous adapter », relativise ainsi Dominique Bünzli.
Le TARDOC suscite des attentes légitimes : celles d’un outil capable de faire évoluer les pratiques, d’intégrer davantage les soins et les services, et de réduire la fragmentation persistante des parcours de santé. Il devrait revaloriser le rôle des médecins généralistes et, plus largement, de toute la première ligne, tout en promouvant des modes de financement qui encouragent le travail en équipe, l’échange d’informations et la coordination des pratiques.
« Mais dans sa forme actuelle, force est de constater qu’il ne répond à aucune de ces ambitions de manière satisfaisante. Osera-t-on le faire évoluer pour qu’il produise enfin les effets attendus ? Ou faudra-t-il le ranger, une fois de plus, au rayon des réformes manquées ? », conclut Dorian Schaller.
Le Tardoc en quelques dates
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1er janvier 2004 : entrée en vigueur du Tarmed
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2016 : lancement du projet Tarco, base du futur Tardoc
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2022 : création de l’OTMA, Organisation tarifs médicaux ambulatoires
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2019 à 2023 : multiples soumissions du Tardoc au Conseil Fédéral, renvoyées pour révision
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30 avril 2025 : approbation fédérale provisoire du Tardoc
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1er janvier 2026 : entrée en vigueur du Tardoc et des forfaits ambulatoires
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Fin 2028 : échéance fixée pour l’approbation du Conseil fédéral. Des ajustements du Tardoc sont prévus durant cette période.