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Surcharge administrative des médecins : une réelle souffrance

Delta Echos #2

Surcharge administrative des médecins : une réelle souffrance Surcharge administrative des médecins : une réelle souffrance

De plus en plus de médecins se plaignent d’un alourdissement significatif de leur charge administrative, entraînant une augmentation du temps de travail et une frustration croissante. Cette situation exerce une pression considérable sur les jeunes médecins, poussant même certains à envisager un changement de carrière. 

Remplir des certificats plus ou moins pertinents, répondre à des quantités astronomiques d’e-mails, retrouver et rapatrier des informations dans les dossiers des patients, établir des rapports… Le travail administratif représente une charge de plus en plus lourde pour les médecins installés. « Avec mes collègues, nous avons estimé ce temps à deux heures par jour en moyenne », explique Séverine Oppliger, vice-présidente de la Société vaudoise de médecine (SVM). Installée depuis quinze ans, elle a remarqué que le temps consacré à des tâches administratives avait augmenté au fil des années. Conséquences : moins de temps à consacrer aux patients, frustrations, perte de sens et fatigue. 

Dès leur formation, les jeunes médecins se retrouvent confrontés à cette problématique. « Lors de mes premiers stages cliniques en tant qu'étudiante, je me suis rendu compte que le quotidien du médecin était très différent de celui que je pouvais m'imaginer, déclare une interne, membre de l’Association des médecins d’institution de Genève. Je pensais consacrer l'essentiel de mon temps aux patients, alors qu'en réalité on passe les deux tiers de notre temps devant un ordinateur. » Cette situation n'est guère encourageante pour la relève, conduisant même certains aspirants médecins à se détourner de la profession. « Personnellement, la charge de travail ne m’a pas incitée à repenser mon choix professionnel, mais il arrive en effet que la lourdeur administrative soit, entre autres, un élément déterminant dans la réorientation de certains collègues », poursuit-elle. 

Ainsi, selon l’enquête annuelle de la FMH de 2023, 11 % des médecins en soins somatiques aigus abandonneront probablement les activités de soins d’ici cinq ans. Même si la surcharge administrative n’est pas la seule cause de cet état de fait, elle y contribue sensiblement. 

 

Des demandes de plus en plus chronophages de la part des assurances 

Plusieurs facteurs contribuent à cette surcharge administrative, tels que la surrèglementation, motivée notamment par la volonté de contrôler les coûts, ou l’augmentation de la bureaucratie. « Les demandes de la part des partenaires, notamment des assurances, sont de plus en plus chronophages, souligne Séverine Oppliger. Les caisses-maladie exigent des justifications détaillées afin de contrôler les coûts de nos prestations. Mais ce n’est pas une mesure efficace, car elle génère du temps de travail et donc des coûts supplémentaires. » 

Le rôle d’autorité des médecins dans la société participe aussi grandement à cette surcharge. « La population est habituée à passer par le médecin pour de nombreuses questions, pas toujours à caractère médical, et se sent protégée par son rôle d’autorité. Mais celui-ci dessert les médecins, qui croulent sous les sollicitations, pas toujours pertinentes. » En effet, de nombreuses demandes ne présentent aucune plus-value médicale, qu’il s’agisse d’établir un certificat pour un patient inapte à participer au cours de gymnastique en raison d’une jambe dans le plâtre ou d’autoriser une patiente atteinte de cystite à se rendre aux toilettes en dehors des horaires prévus. Dans de telles situations, ne pourrait-on pas se passer des médecins, déjà surchargés ? 

 

Un programme pour dénoncer les certificats superflus 

Afin de s’attaquer au problème des certificats superflus, la SVM a lancé en février 2024 le programme « Simplifions la santé », inspiré de l’opération « crocodile bleu » en Belgique. Adressé en premier lieu aux médecins de premier recours, celui-ci a pour but de sensibiliser la population et les partenaires au caractère superflu de certaines demandes. « Lorsqu’un médecin tombe sur un certificat qu’il juge superflu, il y appose un autocollant doté d’un code QR qui lui permettra de nous le signaler de manière anonyme et de le catégoriser. » Environ 140 médecins du canton de Vaud participeront à l’opération sur trois périodes de deux mois durant l’année 2024. Les données récoltées permettront d’avoir une meilleure idée de l’ampleur du problème et ainsi d’envisager d’éventuelles solutions. 

 

Déléguer et travailler en réseau 

Une autre piste de réflexion pour faire face à cette surcharge consiste à promouvoir une meilleure collaboration interprofessionnelle. Certaines tâches pourraient être déléguées à d’autres professionnels, tels que les assistants sociaux, les physiothérapeutes, les pharmaciens ou les infirmières. « Avec un bon partenariat, il serait par exemple envisageable que certaines prescriptions soient établies par le pharmacien », souligne Séverine Oppliger. 

Un développement du partenariat avec les autres professionnels de santé permettrait de mieux répartir la charge de travail qui repose sur le corps médical. Pour cela, une bonne communication entre les corps de métier, à cultiver dès le début de la formation, est nécessaire. « Les jeunes médecins doivent apprendre à travailler de manière interdisciplinaire, affirme Séverine Oppliger. L’essor des maisons de santé, qui regroupent plusieurs professions et spécialités médicales, illustre cette tendance. » 

Afin de favoriser l’interdisciplinarité, il est important que des outils informatiques à la hauteur soient mis en place. « Le concept de base du Dossier électronique du patient (DEP) va dans le bon sens, mais il n’est malheureusement pas encore au point. En l’état actuel, les soignants ne sont pas acteurs du dossier et les échanges entre partenaires ne sont pas facilités », conclut la vice-présidente de la SVM. 

 


La situation en milieu hospitalier 

Une étude menée au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) en 20151 visait à évaluer la composition d’une journée type d’un médecin assistant. À cette fin, des étudiants en médecine ont suivi 36 médecins assistants durant leur journée et ont classé chacune de leurs activités selon six catégories. L’étude a ainsi montré que 28 % de leur temps était directement consacré au patient (examens cliniques, procédures médicales, prescriptions, etc.) et que le 52 % ne l’était qu’indirectement (remplissage du dossier, discussion du cas, revue de la littérature, etc.).   

Les 20 % restants étaient dédiés à des tâches non cliniques, telles que du travail académique, par exemple. La saisie d’informations dans le dossier médical électronique et la rédaction du résumé de sortie étaient les activités qui prenaient le plus de temps, soit environ deux heures par jour. « Pour de nombreux médecins, remplir le dossier électronique du patient est considéré comme une démarche administrative, alors qu’il s’agit d’une activité qui apporte une réelle valeur médicale ajoutée, même si certaines tâches pourraient être déléguées ou optimisées, affirme Julien Castioni, médecin cadre au CHUV et co-auteur de l’étude. En effet, le logiciel de dossier patient n’est pas toujours très intuitif ». Il peut être par exemple difficile de retrouver les informations nécessaires et il arrive parfois que des données soient saisies en double, ce qui entraîne un surplus de travail inutile. Le CHUV reconnaît le problème et travaille actuellement sur un nouveau système informatique plus clair et plus ergonomique. Un autre point important concerne la délégation de certaines tâches. Depuis quelques années, le CHUV a mis en place des postes de secrétaires médicales directement auprès des médecins. En s'occupant de diverses tâches, telles que répondre au téléphone pendant les consultations, gérer les rendez-vous des patients et recueillir des informations supplémentaires sur ces derniers auprès des partenaires, ces secrétaires ont permis d’alléger la charge de travail des médecins et de minimiser les interruptions dans leur pratique médicale. « Ce qui compte finalement, ce n’est pas nécessairement d’augmenter la durée de la présence des médecins auprès des patients, mais de créer un cadre propice à des interactions de qualité avec ces derniers ainsi qu’avec l’équipe soignante qui s’en occupe », conclut Julien Castioni. 

1Wenger N, Méan M, Castioni J, et al. Allocation of Internal Medicine Resident Time in a Swiss Hospital: A Time and Motion Study of Day and Evening Shifts. Ann Intern Med. 2017 Apr 18;166(8):579-586. doi: 10.7326/M16-2238.